jeudi 15 janvier 2009

Hiraven

Ma première visite à l'abbaye de Hiraven. Le lieu saint de toute une région de villages, si l'on peut appeler village les dizaines de groupements de deux ou trois modiques demeures qui parsèment l'horizon de toute part. Il y avait déjà eu une petite église, mais elle n'avait même pas survécu aux intempéries. On prévoyait en construire une nouvelle, mais en attendant l'abbaye servait de refuge et remplissait les fonctions ecclésiastiques nécessaires à toute communauté.

J'ai déjà vu quelques abbayes, plus prestigieuses de nom, mais celle-ci me plaît particulièrement. Elle dégage une impression plus familiale. C'est d'ailleurs la différence entre la moyenne église et la moyenne abbaye. L'église respire le recueillement, la parfaite communion, l'instant d'une prière, entrer pour faire son chrétien parfait et ensuite rentrer chez soi et tenter tant bien que mal d'appliquer tel ou tel nouveau concept de bonté et de chrétienté. L'abbaye, elle, est plus un mode de vie. On marche, on mange, on nettoie en l'omniprésence du Seigneur, et même les tâches les plus élémentaires et mondaines semblent prendre un sens tout nouveau. Tout à coup, on ne fait plus la cuisine pour nourrir une famille, on la fait pour rendre hommage à Dieu et aux hommes. L'atmosphère nous plonge dans un état de paix, où rien ne peut arriver. Peu à peu on se retire des conflits extérieurs. Peut-être est-ce cela, la force de Dieu. À se recueillir en lui, on perd peu à peu toute envie de conflit, et peu après l'esprit va jusqu'à l'oublier.

À environ trente stades de la demeure la plus proche, à mi-chemin sur le versant d'une colline qui offre une côte beaucoup plus abrupte sur le versant opposé, s'érige fièrement le bâtiment édifié de bois de chêne et de brique dorée. Dès que la proximité propose une meilleure vision du détail, l'on aperçoit toute la simplicité, la géniale simplicité de la construction. Même moi qui n'ai jamais été grand connaisseur d'architecture, puis-je m'abandonner à la splendeur sans complexe des arches de pierre, des créneaux épais et robustes, des tours lointaines, humbles mais solides, où l'on peut aisément d'imaginer des étages de bibliothèques remplies de rares manuscrits, plongés dans le silence absolu des moines copistes. On m'avait dit autrefois que les livres étaient faits pour être lus en silence. Les dicter à voix haute était comme répandre leurs secrets à des vents peu favorables et l'acte seul pouvait revenir, d'une certaine façon, hanter l'irrespectueux. J'ai toujours pensé que ce n'était qu'une règle pour empêcher de déranger les moines dans leur travail.

Je passe la massive porte de chêne ornée de fleurs de lys en fer forgé, entretenues assez bien pour leur donner un reflet presque argenté au soleil. La rouille n'y a pas encore fait de ravages, quoiqu'on ne puisse pas en dire autant des pentures, qui malgré leur glissement régulier et sans grande résistance, grincent assez fort pour que toute la cour intérieure sache qu'elle s'est ouverte.

À l'intérieur, un grand terrain carré, dont un coin est occupé par un puits. L'herbe y est entretenue avec ferveur, et les moindres trous dans la brique sont scellés avec attention. Bien que des irrégularités dans le motif mural témoignent des ravages du temps, il ne semble aucunement que l'abbaye puisse s'écrouler, ne fût-ce sous le poids d'une armée entière.

On trouve au nord la plus grande tour, avec une plus petite à l'est. Les deux doivent être annexées par un couloir dissimulé derrière le mur nord-est, lequel n'arbore aucune porte. Au sud, une embrasure éclairée à la torche semble mener au sous-sol, où se trouvent probablement la cuisine et les nombreuses chambres communes.

Au sommet de la tour nord, à quelques pieds du pignon, s'élance fièrement l'emblème de l'abbaye, un aigle d'or emportant dans ses serres un volumineux document. Un indice de plus signifiant la présence d'une bibliothèque, ou tout du moins de nombreux ouvrages, dans cette tour. La tour est, quant à elle, est munie d'une couverture plate et entourée de créneaux, au centre desquelles sied sagement une girouette de bois, un peu déconfite mais toujours fidèle. À l'intérieur se trouve une grange, abritant quelques oiseaux et d'autres animaux domestiques. Il y a longtemps qu'elle n'a pas été vraiment utilisée. Je penserais que l'on y entrepose de vieux artefacts sans grande valeur.

La mezzanine faisant presque le tour des quatre murs et faisant également office de remparts est solidement soutenue par des arches qui forment une longue arcade, sous laquelle il fait bon s'asseoir et relaxer à l'ombre. Je me retourne, et le ciel m'offre la vue sur le clocher, construit par-delà la grande porte d'entrée. Un ingénieux système de poulies conduit une corde à un crochet, de manière à la fixer solidement au mur. Sûrement est-ce la corde d'alarme. En temps normal, une autre corde est disponible dans le clocher, mais si quelque chose devait requérir de sonner l'alarme au plus vite, il existait cette ancre de secours.

On me conduit au sous-sol. Comme je l'avais deviné, on y voit toute une fourmilière, des hommes qui nettoient, qui font la cuisine, qui installent les couverts, qui transportent des sceaux d'eau et de bière. Ici chacun a une responsabilité, qui peut changer en tout temps. Le mot d'ordre est "va te rendre utile."

Dans des pièces adjacentes se trouvent les chambres, réservées aux anciens. Les jeunes couchent dans la salle à manger, entre les tables et les chaises, ou parfois sur elles. La grande salle peut héberger deux centaines d'âmes, alors que les chambres ont de la place pour une ou deux dizaines au plus.

Au fond de la grande salle, une arche encadre sous elle une tapisserie qui raconte un grand combat, dont je ne sais rien encore. Il faudra que je me renseigne. On dit que la fondation de cette abbaye a requis peu de sang, mais beaucoup de temps. J'en jugerai moi-même. Au-dessus de la tapisserie est gravée la devise de la confrérie qui est à l'origine de Hiraven :

"In laus nipalensis, vox dei arma noster est."

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