lundi 9 mars 2009

La Ville de loin

Elle semble bien calme, la cité, de loin, mais là qu'elle n'était qu'un amas de lucioles immobiles et pétillantes à la tombée du soir, à l'aube je crois que j'arriverai juste à temps pour la voir renaître de ses braises hésitantes.

La vie y est séparée en nombre d'entités réclâmant leur autonomie du corps citadin. Nonobstant les lampes qui éclairent les avenues, chacune de ces entités laisse entre elle et ses semblables s'approfondir une ombre, jusqu'à devenir impénétrable. L'âme dans son désir d'immunité s'est entourée de murs, chaque univers bien protégé des autres, n'ayant pour tout terrain commun que ces quelques routes d'asphalte accidentées. Là luisent d'imposants monuments dispenseurs de soleil artificiel, qui pourtant pour la plupart faiblissent et menacent de s'effacer, laissant d'un noir d'encre les seuls interstices entre les univers clos de chaque maison. Dans chaque huis s'orchestrent de savants et moins savants mouvements : certains comptant une ou deux personnes, d'autres des dizaines. À certains des personnes n'ont pas été invitées et, déçues, ont été contraintes d'organiser leur propre parade, dans leur propre univers, et dans leur frustration, n'y ont invité personne. Elles ont préféré demeurer au foyer, car dans la nuit elles auraient seulement vogué, les yeux noyés dans le goudron et l'acide, sans pouvoir regarder où mène la route flanquée d'une obscurité qui donne un sens à l'absolu.

Dans certains quartiers les lampadaires se font encore plus rares. On croirait entendre là des banlieusards qui n'aspirent qu'au calme, à l'obscurité de la nuit, à la brillance diurne, et à un arroseur à jardin savamment placé pour dispenser ses bienfaits à toute une pelouse revendicatrice, sans pour autant en partager une seule goutte avec le voisin. C'est l'autre, c'est comme une autre couleur, une autre religion ; deux voisins ce sont deux univers qui s'ignorent pour occulter leurs potentielles responsabilités l'un envers l'autre. Dans ces quartiers tranquilles, tout le monde est en paix, tout le monde se laisse la paix, à un point tel que tout réflète la mort. Quand je regarde ces rues à la nuit désolée, la seule chose qu'il m'est donnée de voir peuplée et harmonieuse, c'est le ciel.

S'élevant du port on entend presque les échos des brides qui claquent, au grand plaisir des regards amoureux qui se laissent doucement bercer par les flots atterrés des calèches. Combien j'abonde de pensées heureuses pour ces jeunes gens attachés qui adorent d'une telle force la chaleureuse compagnie d'un être-miroir qui leur renvoie le meilleur d'eux-mêmes. Autant je jalouse les personnes jolies qui jouent à retirer de la bouche salivante de moults prétendants leurs suavités, autant je souhaite à ces gens couplés – grand mal m'en fasse ! – tout le bonheur que l'on puisse extirper de la courte union que sera la leur. Quelques ans plus tôt, alors que je me rendais régulièrement aux quais du port pour sentir les rafales nordiques me fouetter la chair en repoussant la canicule estivale, j'avais peine à concevoir qu'à peine quelques dizaines de mètres derrière moi, de fougueux amants couvaient déjà les braises de leur étrange passion dans la sueur d'une nuit d'été. C'était simplement trop éthérique, comme un Sahara au mois d'août, où il neigerait à midi.

Midi, midi... Minuit. Non, il est quatre heures moins quart.

Je quitterai bientôt les mers des plaines verdoyantes pour rejoindre les clairières grises et brunes et les forêts de brique et de miroirs, de vitre et de poussière. Pas une pensée ne m'accompagne à cette nouvelle terre inconnue. Elles ont décidément préféré rester là d'où je viens. Ce qui s'est passé dans les plaines est voué à rester dans les plaines. Je ne leur en tient nullement rigueur. Je me plais à penser que ces idées, si belles, si colorées et vierges comme n'a pas été depuis longtemps cette vieille vache de nature mal incarnée, m'attendront quelque part, au sommet d'une falaise, à un belvédère à la vue imprenable sur une rivière cahoteuse, sur une rive de pierres polies naturellement où coule un ruisseau profond d'à peine quelques centimètres ; qu'elles m'attendront, grandiront et fleuriront, s'inspirant du paysage, et à mon retour m'inspireront en retour, l'histoire de cet enfant de la vie ou de la matière, qui n'a pas encore de nom, et qui veut à tout prix tomber dans l'oubli de son imperturbable silence. Et alors j'écrirai son histoire, dans de capricieux détails, et mes mots seront à la fois un roman, une musique et une toile. Ainsi il vivra simultanément, ce petit-enfant de l'univers, lui qui aspirait au vide entre les galaxies, il vivra sur la seule planète de cet amas de poussières et de feux qui soit doté de mémoire. Et il en sera incommensurablement frustré ; et je m'en réjouirai dans une égale mesure !

Mais pour l'heure je m'éloigne de l'épicentre de cet être qui n'est pas encore nommé, et ainsi je fais peut-être naître en lui quelque espoir naïf, quelque candeur juvénile – à l'échelle de l'univers bien entendu – une infime portion de possibilité que mon imagination perverse oublie de s'attarder à son existence idiote et aveugle. Je ne me complais pas vraiment dans cette idée. Elle n'est pas prophète de choses meilleures à venir, ni bientôt, ni moins bientôt. Elle est seulement comme toutes ces idées qui ne m'accompagnent pas là où je me rends, elle préfère aussi rester assise et attendre mon retour, pour me rappeler avec autant plus de force que la sale chienne de nature n'a pas encore changé.

Il s'avère à mes sens de plus en plus demandant de retenir ces pensées et de les entretenir. Avant longtemps elles cessent tout bonnement d'évoluer, et meurent finalement dans une abîme lourde de profondeur ponctuée de cavités creuses comme l'anus d'une galaxie. Et je me rends compte qu'elles ont dû tomber pendant longtemps avant de périr.

3 commentaires:

  1. violent mais magnifique...ce texte est porteur d'un sens métaphysique qu'il réussit à transcender...félicitations !

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  2. Je m'étonne d'avoir une opinion semblable à Laurence, mais je dois être conséquent avec moi-même. Je trouve donc ce texte superbe. J'aime l'utilisation de nombreux champs lexicaux. Il manque un peu de style, mais la couleur est là. J'ai encore l'impression qu'il faudrait seulement redistribuer quelques idées pour mettre un ordre stylistique.
    Bon... Outre que je trouve le texte superbe, je ne suis pas d'accord avec les autres éléments que fait ressortir Laurence... Voilà! C'est dit.

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  3. Hahahaha !
    Gab tu fais tellement ton haïssable ! :P Trop drôle !

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