jeudi 12 mars 2009

Blut Royale - Partie V : Courant

Je me jette sur le côté, exténué. Elle l'est encore plus que moi. Ça se voit. Elle a un air décontenancé. Elle fixe le plafond, la bouche grande ouverte, le souffle saccadé.

Elle est belle. Elle est différente des autres. Différente de Soledad. J'arrive peu à comprendre cette émotion qui m'assaille lorsque je la regarde. Elle n'est pas belle comme une petite chose fragile qu'on veut pour soi, qu'on veut chérir, caresser, bercer au sommeil. Elle n'est pas d'une beauté mignonne, enfantine, comme je croyais tant aimer les femmes, elle n'a rien de ce petit regard espiègle, innocent, blanc, le regard de la fille qui a l'intuition sans le savoir, qui comprend même sans connaître.

Elle est si forte. Une puissance naturelle. Une lueur dans le monde livide, une aura colorée qui appelle à elle une même potence. Une louve qui recherche ce loup qui saura la dominer, elle qui a si peu de peine à s'élever au-dessus des autres. Les muscles tendus, les sens aguerris, elle sait reconnaître sa place dans la jungle, sa place et celle des autres. Et elle sait qu'elle est au sommet. Plus aucune épreuve ne l'effraie, plus personne ne l'impressionne, et elle recherche encore un frisson, même tout petit, elle cherche ce qui peut encore être éveillé en elle, éveillé et excité, elle cherche la personne qui pourra atteindre cette seule parcelle encore vivante de son âme et la faire éclater, la faire exploser en saveurs et en couleurs et en textures.

Elle reste figée, comme ébahie. Sa repiration prend de l'ampleur, son thorax se soulève, doucement ses seins se prostrent, s'amollissent. Son corps prend de la couleur. Le sang circule.

Plus je la fixe et plus mon âme se rapproche de la sienne. Même si la chair garde sa distance je sens mon moi incorporel se rapprocher de plus en plus. Je sens que quelque chose s'est créé entre nous. Un lien de l'âme s'est tissé. Je le vois, je suis certain de le voir, ce courant, comme une rivière intangible, qui coule entre nos deux êtres, elle coule dans les deux sens à la fois, nous sommes chacun à la fois amont et aval. L'eau ruisselle lentement, chaotiquement, prend des détours inutiles, mais finit toujours par retrouver sa destination. J'emprunte, ou plutôt mon esprit emprunte cette rivière, et va la rejoindre. Je m'approche, je sens presque mon corps laissé derrière pour aller canoter sur les rapides et atteindre l'amont, l'aval, là où le courant se déverse. Et je la touche.

Elle a une inspiration profonde, violente. Elle continue de fixer le ciel. Son regard est perdu. Elle n'a que moi comme référence. Mais moi je ne suis nulle part. Je suis en elle. Je suis en symbiose avec ses émotions. Je vois les couleurs de son aura, la nature de ses pensées. Je sens qu'elle m'appartient. Je la possède.

Comme je ressens son être profond, elle me semble soudain beaucoup moins forte. Elle m'apparaît fragile, non pas molle, mais cassante. Une chope de bière craquelée, voilà ce qu'elle est. Solide et fragile à la fois. Je devine qu'elle n'a pas eu une vie facile. C'est évident. Son père battait-elle sa mère ? Non. Il la battait, elle. Elle l'a oublié mais son inconscient s'en souvient. Elle veut être dominée, pas parce qu'elle est forte. Parce que c'est tout ce qu'elle connaît. C'est logique pour elle. Tout le reste n'est pas normal.

Ainsi la petite louve a peur. Elle a peur d'être respectée. Elle n'a aucune conception de générosité. La vie se résume à prendre. Elle prend tout aux autres et en contrepartie se laisse tout prendre par son amant. Je me resserre autour d'elle. Mon esprit enveloppe le sien. Il l'étreint de toutes ses forces. Il la prend. Je sens une immense frénésie s'échapper de ma pensée et se diriger vers mon corps en empruntant la rivière qui les relie. Comme une rage de vaincre. L'ardeur de savoir que j'ai le dessus. Je veux garder cette avance. Mon corps se meut. Il s'approche, nous rejoint. Il veut reproduire ce que l'âme a réussi à faire, il veut étreindre la chair. Il se met en position. Lui écarte les jambes. Elle le fixe, ou plutôt ne fixe rien dans sa direction. L'âme se débat, mais est résignée. Ce qu'elle est faible. Elle me dégoûte. Elle se brise encore davantage. Je l'ai achevée. Elle est impuissante. Je détiens le pouvoir.

Éveil brutal.

Je la pénètre. À ce moment s'opère une réaction en elle qui semble parcourir tout son corps en succession, deux, trois, quatre fois, le tout en quelques fractions de seconde. Elle prend conscience qu'elle existe. Elle prend conscience que j'existe. Elle comprend notre position, sa signification, et ouvre la bouche. Elle gémit. De plus en plus fort. Je lis dans son regard un vide, une immensité de rien, horrifié, vacant de toute logique alors que l'emporte une peur primordiale, animale, la peur de la lutte pour la survie. Elle renaît alors que je m'enfonce en elle. J'ai un petit mouvement de recul. Puis je m’enfonce encore plus profondément. Son halètement s'amplifie. Il atteint une telle force qu'il n'est plus qu'un souffle éthéré. Plus aucune voix ne se fait entendre, son corps n'est plus que spasmes violents qui tentent de laisser s'échapper une vitalité atteinte d'une vision déchéante d'un mal absolu.

Je sens son corps et son âme aussi clairement que les miens. Je vois encore le courant qui nous parcourt, cette fois nous sommes liés sur tous les plans. L'eau déferle, il n'existe plus de frontières, la mer se déverse en nous, inonde nos deux entités, nous noie dans son eau rougeâtre. Son corps s’essouffle. Sa pensée est faible. Je la serre contre moi, avec une force qui n'est pas la mienne, je l'embrasse, je la mords, et j'entre en elle de plus en plus intimement. Je suis conscient de ce que je lui fais et je m'en veux. Je m'en veux de ne pas arrêter. Mais le plaisir est tellement grand. Je me sens bien. Je la prends tout entière. Je suis fort. Elle est faible. Ce n'est pas de ma faute. Elle sait que je suis plus fort qu'elle. Ce n'est pas de ma faute. Elle ne sait plus ce qui se passe. Ce n'est pas de ma faute.

2 commentaires:

  1. Je tiens à mentionner que le texte a été retouché, plusieurs parties ont été modifiées ou complètement supprimées de cette version, car l'original est beaucoup plus violent. Mais j'ai le souci de demeurer dans une certaine mesure de bon goût.

    C'est la 5e partie d'une série de nouvelles fantastiques qui se veulent, à l'instar de celle-ci, dotées d'un champ lexical décrivant une rare cruauté, à tout point de vue. Bien qu'on n'y raconte aucun viol, on y retrouve plusieurs scènes de sexe hargneux et déchaîné, des combats impitoyables, des suicides dégueulasses, et des gens qui en rient et y prennent plaisir.

    Parcelle d'un monde créé par ma fantaisie, le plus gore que je puisse concevoir sans pour autant faire appel à des vampires, zombies, et autres mauvais classiques qui donnent une raison facile à la violence gratuite. Cependant, je ne rejette pas le fantastique ; il est simplement beaucoup plus insidieux et mâlin... Un vrai virus !

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