lundi 16 mars 2009

Éloge du papier ; nihilisme du circuit

J'espère que le livre papier ne disparaîtra jamais.

D'abord pour des choses simples : pour le bruit que font les pages quand on les tourne ; pour la fierté de voir le signet progresser entre les pages un peu plus chaque jour vers la fin ; pour la douce frustration de ne pas retrouver la phrase qu'on veut à travers la myriade de mots ; pour l'obligation de protéger le bouquin des intempéries, ce qui semble conférer à un objet tout ce qu'il y a de plus commun un statut de trésor ; et pour son look, qui, suivant la popularisation des médias électroniques de toute sorte, sera bientôt considéré archaïque. Et on sait combien j'aime les choses archaïques...

Outre les raisons "esthétiques", il y en a plusieurs autres pour lesquelles je n'adopte pas le e-book, même si plusieurs de ces raisons peuvent probablement être réglées par une technologie adéquate. Pour décrire la situation, assumons ensemble la situation suivante : je dispose d'un lecteur portatif, par exemple un IPod Touch, d'une capacité de stockage raisonnable, qui me permet de lire des fichiers Word, PDF, TXT et autres.

Je ne m'attarderai pas trop au coût du support, puisque je considère que c'est un investissement ; nonobstant que toute technologie devient vite désuète aujourd'hui et nécessite un remplacement fréquent, les appareils ont généralement une durée de vie assez longue pour faire honneur à leur prix.

D'abord, je n'aime pas l'idée de transporter toute ma bibliothèque avec moi. Ça me fait juste penser que si jamais je perds mon lecteur, tous mes livres y passent, et même si je suis intelligent et que je me fais du backup, il va falloir que je reconstruise ma collection sur un autre appareil. Beaucoup plus suant que de perdre un simple livre. Dans cet argument j'inclus également la relative fragilité du support. Un petit détail technique, un bogue ou une goutte d'eau dans le mauvais circuit peut me faire perdre toute ma lecture. Ça me plaît plus ou moins comme idée.

Ensuite, la difficulté de lecture. Il est prouvé que lire du texte sur un écran est beaucoup mais beaucoup plus forçant que le lire sur papier. C'est la première chose qu'une compagnie devra régler avant de me vendre un lecteur de e-book, je vous le garantis.

La durée de vie. Une batterie, ce n'est pas éternel. Et même si ma pile a une capacité de 10 heures, il va quand même falloir que je pense à la recharger de temps en temps, sous peine de me retrouver soudainement sans lecture en plein milieu de trajet. Et comme je prévois voyager beaucoup dans ma vie, je prévois qu'une recharge ne sera pas toujours disponible.

Autre problème qui est un peu de ma faute mais beaucoup de la faute des autres : la distraction. Un lecteur de e-book ne sera jamais QUE lecteur de e-book, c'est évident. Il sera aussi téléphone, lecteur mp3, appareil photo et navigateur Wi-Fi. Comme je dis, c'est un peu de ma faute, c'est certain que je peux ne pas utiliser ses autres fonctions, mais je me sentirais un peu mal à l'idée de payer le plein prix pour un appareil dont je n'utilise que 10% des capacités. De plus, je le dis souvent, je commence sérieusement à m'ennuyer du temps où un cellulaire servait à téléphoner, un lecteur mp3 à écouter la musique, un appareil photo à prendre des photos, un gameboy à jouer sur la route, et un ordinateur à naviguer sur le web et à jouer chez soi. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place, vous connaissez ? J'ai l'impression aujourd'hui de vivre dans mon garde-robe avec la totalité de mon mobilier de chambre ET de salon ET de cuisine.

Je ne sais pas. Suis-je déjà dépassé par les nouvelles technologies ? Ça me fait me demander à quel âge mes enfants, eux, le seront. Dans le monde de demain, les "grands" de sixième année du primaire ne comprendront rien à ce que les élèves de maternelle se font enseigner. Mais c'est un autre débat. Je dis seulement : au diable le e-book, aux fers la caméra et le lecteur mp3 intégrés au cellulaire, à mort les petits jeux téléchargeables sur son IPod ! Suis-je archaïque ? Ou très avant-gardiste ? Le temps nous le dira. Mais au rythme où vont les choses, de toute façon, je pense que je pourrais dire "à mort la race humaine !" et je serais vu comme un prophète par une quelconque civilisation extraterrestre venue admirer le piédestal de notre statue d'Ozymandias.

3 commentaires:

  1. C'est vrai que ça porte à réfléchir le progrès technologique, et l'idée que le livre est en voie de disparition, tout comme le cd musical, en raison de la musique qui est désormais facilement téléchargeable. Ça doit être un choc pour les collectionneurs de constater la mort de la musique sous support matériel. C'est la même chose qui se produit avec le livre. Je pense qu'il vaut mieux suivre le courant, le devenir de la technologie, et ne pas espérer en un monde où les objets et les inventions demeurent statiques. L'immobilité, c'est digne de la pensée de Platon. Mais la technologie est plus près de la philosophie d'un Héraclite, le monde étant un feu en perpétuel devenir. ;)

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  2. J'aime bien cette référence à Héraclite David. C'est bien choisi. Je dois dire avoir un parti pris pour la technologie, mais tu poses de bons commentaires. Bon... Disons jusqu'à "Ensuite, la difficulté de lecture. Il est prouvé que lire du texte sur un écran est beaucoup, mais beaucoup plus forçant que le lire sur papier. C'est la première chose qu'une compagnie devra régler avant de me vendre un lecteur de e-book, je vous le garantis." Parce que je dois dire que c'est peut-être là la réponse à la question que tu poses ensuite "uis-je déjà dépassé par les nouvelles technologies ?". Oui, parce que les écrans sans "back light" existent déjà depuis quelques années. Nous sommes déjà à la seconde génération de "reader" ou "liseuse" sans rétroéclairage. Amazon et Sony sont en avance de loin sur la France (qui a pendant le présent Salon du livre de Paris prouvé qu'il allait prendre encore une décennie de retard sur le reste du monde occidental). On dit que la troisième génération de "reader" inclura de l'écriture tactile, de la reconnaissance vocale et tout ce que les téléphones intelligents ont déjà. Je note ici que le ebook de première génération avait déjà la capacité des premiers lecteurs mp3. On peut donc supposé que l'évolution ce cet outil ira dans la même direction du téléphone cellulaire.

    Je répète quand même que tu présentes de bonnes objections... mais des objections qui ne seront selon moi, dans un temps relativement court, plus pertinentes quand la technologie aura fait quelques progrès.

    Le livre papier et le rapport fétichiste (je ne traite pas Coeus de fétichiste. Je n'utilise qu'un terme consacré pour traité de cette question) de son lecteur ne disparaitra pas. Je pense seulement que cet acte se transformera en luxe comme la lettre papier. Comme disait quelqu'un "We will make electricity so cheap that only rich will burn candle.". My point exactly.

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  3. @Gabriel :

    Peut-être qu'il existe des lecteurs sans "backlight" (bien que je n'aie rien trouvé de portatif à cet effet en dix minutes de Google), mais la qualité de lecture que l'on a sur papier est encore loin d'être égalée par les médias électroniques. Le texte suivant en traite :
    http://www.guardian.co.uk/technology/2008/jul/04/charles.arthur

    Également, oui le livre représente une sorte de fétiche (d'ailleurs j'aime bien le mot), mais je pense que c'est plus que ça. Comme le mentionne l'article sus-mentionné, les médias électroniques sont faits pour relier l'information, proposer des links et des références à n'en plus finir. Mais ça ne serait pas, par exemple, un support idéal pour un roman, dans lequel de tels lien n'offriraient que des occasions de distraction. Tout est simplement question de fonction, et je pense que dans la forme actuelle, le livre est simplement mieux adapté à sa fonction que ne le serait n'importe quel médium électronique. MAIS, oui, je trouve qu'avoir un livre entre les mains est juste plaisant et je ne m'en cache pas.

    @David :

    En effet, j'aime bien l'analogie avec Héraclite. Cependant, quelque chose me bogue ici : c'est qu'à mon sens, les nouvelles technologies sont de plus en plus faites pour rester en place. Wikipedia faisant office de recherche à la bibliothèque (je sais, c'est discutable, mais bon), Facebook au lieu d'un réseau social vivant, Amazon au lieu du magasinage de livre conventionnel... Et la recherche spatiale qui n'avance foutument pas !
    Bref, la Matrice. Les nouvelles technologies devraient représenter une progression, et donc un mouvement, mais c'est un mouvement qui nous conduit insidieusement à l'immobilité. Ça me fait peur.

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